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    Langages

    La stylistique de Charles Bally : de la notion de « sujet parlant »à la théorie de renonciationJean-Louis Chiss

    Citer ce document Cite this document :

    Chiss Jean-Louis. La stylistique de Charles Bally : de la notion de « sujet parlant » à la théorie de renonciation. In:

    Langages, 19ᵉ année, n°77, 1985. Le sujet entre langue et parole(s) pp. 85-94.

    doi : 10.3406/lgge.1985.1506

    http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506

    Document généré le 14/10/2015

    http://www.persee.fr/collection/lggehttp://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506http://www.persee.fr/author/auteur_lgge_343http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1985.1506http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1985.1506http://www.persee.fr/author/auteur_lgge_343http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506http://www.persee.fr/collection/lggehttp://www.persee.fr/

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    J.

    L. Chiss

    LA

    STYLISTIQUE

    DE

    CHARLES BALLY

    :

    DE

    LA

    NOTION DE «

    SUJET

    PARLANT »

    À

    LA THÉORIE DE

    L ÉNONCIATION1

    « Sans

    doute la rencontre de

    Ferdinand

    de

    Saussure

    a été

    le

    fait

    décisif qui

    a déterminé l'orientation de ma

    pensée...

    Toutefois

    ce

    maître incomparable ne s'est pas

    attardé

    spécialement aux questions qui m'ont

    passionné

    plus tard, celles

    notamment

    qui

    concernent

    le

    langage expressif,

    véhicule

    de

    la

    pensée

    affective.

    D où

    me

    vient

    donc

    cette

    hantise

    de

    la

    parole

    fonction

    de

    la

    vie »

    Ch.

    BALLY, Journal de Genève, 10 avril 1957

    (c'est

    nous

    qui

    soulignons).

    Une des dernières livraisons des

    Cahiers

    Ferdinand de

    Saussure

    (n° 36, 1982)

    vient à point nommé pour

    fixer

    l'attention

    des

    spécialistes sur l'œuvre (et la vie) de

    Ch. Bally

    (1865-1947)

    dont

    le

    nom reste

    d'abord

    attaché — avec celui

    d'Albert

    Sechehaye

    — à l'édition

    du

    Cours

    de

    Linguistique générale ; la difficulté à autonomi-

    ser le

    travail

    de

    Bally par

    rapport

    au

    saussurianisme

    reste

    sensible

    dans

    la

    revue

    susnommée — ce qui ne préjuge en

    rien

    de la nécessité de

    revenir

    à la

    filiation, telle

    qu'elle est exposée

    par

    exemple par G.

    Redard

    : «

    Charles

    Bally disciple de

    Ferdinand de

    Saussure

    ». Il reste

    que,

    limitée d'un

    côté par

    la relation maître/disciple, la

    prise

    en compte

    pour elle-même

    de l'œuvre de Bally se trouve

    comme piégée

    d'un

    autre

    côté par

    l'étiquette de « Stylistique » assumée par son auteur, mais

    génératrice

    de

    malentendus

    persistants.

    Pas plus qu'il n'apparaît dans l'histoire de la linguistique

    structurale

    comme

    un théoricien

    à part entière, Bally ne figure au rang des

    précurseurs cités par

    R. Jakobson dans

    «

    Linguistique

    et poétique » (ce dont

    s'étonne

    R.

    Godel).

    La

    conjoncture

    théorique en linguistique marquée par la constitution de la

    pragmatique comme nouvelle matrice,

    le développement des problématiques de

    renonciation

    et

    la

    confirmation

    des

    recherches

    sociolinguistiques,

    semble

    favorable

    à

    une

    (redécouverte de Ch. Bally

    dont on note

    au moins les « ébauches

    théoriques

    étonnantes »

    2.

    C'est

    au

    sein des rubriques consacrées au « style », à la « stylistique », à la «

    rhétorique » dans les encyclopédies

    de

    linguistique que

    le

    nom

    de

    Bally

    apparaît :

    ainsi

    dans le

    Dictionnaire

    Encyclopédique des

    sciences

    du

    langage (Seuil, 1972),

    O.

    Ducrot et

    T.

    Todorov insistent sur les ruptures de Bally par rapport aux

    conceptions

    1. Une partie de cette

    recherche

    a été présentée, sous forme de communication orale, au

    Colloque

    ICHOLS

    III (Université

    de

    Princeton,

    U.S.A.,

    19-23

    août 1984).

    2.

    Cl.

    Haroche

    et

    I.

    Michot-Vodoz

    :

    «

    Autour

    de

    «

    Théorie

    du sujet

    »

    d'Alain

    Badiou

    »

    in

    D.R.L.A.V.

    (Paris

    VIII,

    1984),

    n° 30

    : « La

    Ronde

    des sujets

    ».

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    préexistantes

    du style : la

    stylistique de Bally, descriptive,

    s'oppose

    aux conceptions

    littéraires du

    style

    pour renouer

    avec

    l'ancienne rhétorique ; pour les auteurs,

    l'analyse

    du

    discours

    constitue

    une ouverture contemporaine

    de

    la « stylistique

    restreinte » de Bally. Dans

    le

    Dictionnaire de linguistique (Larousse 1973),

    la

    définition

    de la

    stylistique

    empruntée à Bally

    est

    très

    nettement

    opposée à

    une

    autre

    définition

    de la

    stylistique

    comme « étude scientifique du style des œuvres littéraires »,

    appuyée

    sur

    une

    référence

    à

    R.

    Jakobson.

    STYLISTIQUE ET

    SUJET

    PARLANT.

    La « stylistique » comme Etude systématique des

    moyens

    d'expression

    3,

    étude

    dégagée

    — en principe —

    de toute

    préoccupation rhétorique ou

    littéraire,

    est, aux

    dires de

    Sechehaye, une

    «

    discipline que Ch.

    Bally

    a

    créée » [J. de Genève,

    16.3.1929). La position de cette discipline dans le dispositif de la linguistique est

    explicitement

    rapportée par Bally

    lui-même

    à

    la

    conceptualité saussurienne

    :

    « En

    somme,

    je

    reste fidèle à la

    distinction

    saussurienne entre la

    langue et

    la

    parole,

    mais j'annexe au domaine de la langue une province qu'on

    a

    beaucoup de peine à lui

    attribuer

    :

    la

    langue parlée

    envisagée

    dans son

    contenu

    affectif

    et subjectif. Elle réclame une

    étude spéciale : c'est

    cette

    étude

    que j'appelle

    la

    stylistique

    » (cité par G.

    Redard

    in Cahiers

    Ferdinand de Saussure, 36,

    p.

    18).

    Si

    pour

    R.

    Godel [ibid),

    malgré la dédicace

    « à mon maître,

    Ferdinand de

    Saussure

    », ni le Précis de stylistique (Genève, Eggimann, 1905), ni le Traité de

    stylistique française

    (2

    vol.

    Heidelberg,

    1909, 3e édition 1951,

    Georg

    et Cie et

    Klincksieck,

    abrégé en

    T.

    S. F.) ne

    doivent

    rien

    à

    Saussure,

    il

    n'en

    reste pas

    moins qu'outre la

    distinction langue/parole, les orientations

    saussuriennes

    que sont le

    projet sémiologique,

    l'opposition

    synchronie/diachronie,

    la

    différence langue

    parlée/langue

    écrite,

    informent

    la

    tentative

    de

    Bally

    pour

    caractériser

    le

    français

    contemporain.

    Contre les

    prismes

    déformants

    que constituent

    les œuvres littéraires, l'histoire de

    la

    langue,

    les décisions des

    grammairiens, Ch.

    Bally, dans l'introduction du T.S.F.

    il

    livre la « définition de la

    stylistique

    », se place

    sur

    le terrain de l'apprentissage

    (le

    livre est destiné

    à

    l'enseignement) 4

    pour contester

    les idées

    dominantes

    en la

    matière :

    apprendre une langue

    serait

    un

    travail

    mécanique (le recours à

    l'introspection devrait corriger ce mécanisme), une opération

    analytique (l'analyse

    dite logique masque

    le

    caractère synthétique des faits

    de

    langage), une opération

    historique (le caractère

    scolastique

    de l'enseignement est ici

    générateur

    d'illusions).

    En

    opposition, Bally propose son protocole pédagogique dans cet autre énoncé de

    l'introduction

    du

    T.S.F.

    (p.

    IX)

    :

    « La propriété

    du langage, la pureté de l'expression ne

    s'acquièrent pas

    avant tout

    au

    contact de la langue du passé, mais par

    l'étude

    intelligente de la langue d'aujourd'hui, dans

    ses

    manifestations

    les

    plus

    vivantes,

    les plus voisines de

    la

    pensée spontanée ».

    On

    le voit : Bally, au début du T.S.F., répond moins à la question : qu'est-ce

    que la

    langue ? qu à

    l'interrogation : que doit comporter

    l'étude

    de la

    langue ? Sa

    réponse

    3. Titre

    d'une

    conférence de Ch. Bally donnée

    en

    mai 1910 dont le texte

    est

    reproduit dans

    A Genová

    School Reader in Linguistics, edited by R.

    Godel,

    Indiana University Press, Bloo-

    mington and London, 1969.

    4. L'optique pédagogique

    est

    constante

    chez

    Bally comme est

    constante

    l'attention aux

    spécificités

    d'approche

    de

    la

    langue

    maternelle

    et

    de

    la

    langue

    étrangère.

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    apparaît

    d'abord comme un élargissement de la définition saussurienne. A l'étude

    du

    système,

    il

    faut ajouter celle de l'activité du sujet parlant :

    « L'étude de

    la

    langue

    n est

    pas seulement l'observation

    des rapports existants entre des

    symboles

    linguistiques, mais aussi des relations qui unissent

    la

    parole à

    la

    pensée (...) c'est

    une étude en

    partie

    psychologique, en

    tant qu'elle

    est

    basée

    sur

    l'observation de

    ce

    qui se

    passe dans l'esprit d'un sujet

    parlant

    au

    moment où il

    exprime

    ce

    qu'il pense »

    (ibid p.

    2).

    Saussure, dans

    le

    chapitre

    IV

    du

    CL. G.

    : «

    Linguistique

    de

    la

    langue

    et

    linguistique de la

    parole

    », avait

    déjà situé

    la

    nécessité d'étudier

    l'activité du sujet

    parlant

    « dans un ensemble

    de

    disciplines

    qui

    n'ont

    de

    place dans la linguistique que par

    leur relation avec la langue » (éd. de

    Mauro,

    Payot, 1972, p.

    37).

    On pourrait

    penser, sans tirer argument de l'ordre

    du

    Cours, que le chap. V « Eléments internes et

    éléments

    externes

    », fournit cet « ensemble de disciplines »

    (ethnologie,

    histoire

    politique, littérature, dialectologie...), alors que les reformulations de Bally, à y regarder

    de

    près, déplacent plus

    qu'elles

    ne complètent

    le

    champ conceptuel

    de Saussure.

    Cela

    malgré

    les

    dires mêmes

    de Bally

    qui dans

    Linguistique

    générale et linguistique

    française

    (1932 abrégé en L.G.L.F.) déclare à propos de la théorie saussurienne de

    l'arbitraire

    du

    signe

    la

    «

    compléter

    »

    et

    la

    «

    systématiser

    »

    {L.G.L.F.

    édition 1964,

    p.

    128).

    Cependant,

    la

    notion

    de sujet parlant, centrale

    chez

    Bally, alors qu elle n'est

    pas à proprement parler un concept du Cours 5 apparaît consubstantiellement liée à

    la définition

    du

    langage

    que

    propose le

    T.

    S. F.

    :

    « système de

    symboles

    d expression

    »

    et

    « fait

    social

    ». La théorie est centrée

    sur

    le « sujet qui parle spontanément

    sa

    langue

    maternelle »

    et à

    travers

    laquelle

    il exprime

    ses

    « idées »

    et

    « sentiments »

    et

    communique avec autrui ; si la mise en évidence de la

    correspondance

    du

    langage et de la

    pensée

    constitue

    le

    fondement de l'étude linguistique, seule la

    «

    réflexion

    intérieure » du sujet parlant, son introspection, peut fournir le matériau

    indispensable à l'observation « simultanée » de la

    pensée et

    de

    son

    expression

    (ibid

    p.

    4).

    La

    recherche

    de

    ces

    unités

    de

    pensée

    et

    leur

    correspondance

    avec

    les

    faits

    d'expression

    explique

    le refus

    par

    Bally de

    Yanalyse, celle

    qui consiste à déterminer

    les « éléments les plus simples

    du

    langage

    », et

    du découpage

    arbitraire dans les

    phrases d'éléments »

    d après

    des indices extérieurs, formels,

    étrangers

    au mécanisme

    de la pensée

    » (ibid

    p.

    3) 6. L'acharnement

    de

    Bally contre « l'instinct étymologi-

    5. Absente de l'index

    du Cours,

    elle l est aussi de l'appareil

    critique de

    De

    Mauro

    ou de

    Godel par exemple. Ce

    qui

    ne veut

    évidemment pas

    dire

    que

    Saussure s'interdise le

    recours

    au

    sujet

    parlant

    dans Yanalyse subjective

    synchronique

    de la langue

    : «

    au point de vue de

    l'analyse subjective, les suffixes et

    les

    radicaux ne valent

    que

    par

    les

    oppositions syntagmati-

    ques

    et

    associatives

    :

    on

    peut,

    selon l'occurrence,

    trouver un élément

    formatif

    et

    un

    élément

    radical dans deux

    parties

    opposées d'un

    mot,

    quelles

    qu'elles

    soient,

    pourvu qu'elles donnent

    lieu à une opposition (...). D'une

    manière

    générale,

    et

    dans

    des circonstances favorables, le

    sujet

    parlant

    peut être amené à faire toutes les coupures imaginables (...) On

    sait

    que les

    résultats de ces analyses spontanées se manifestent dans

    les

    formations analogiques de chaque

    époque ; ce sont elles

    qui

    permettent de distinguer

    les

    sous-unités

    (racines — préfixes — suffixes

    — désinences)

    dont

    la

    langue

    a conscience

    et

    les valeurs

    qu'elle y

    attache.

    » (Cours de

    Linguistique

    générale,

    p. 258. C'est nous

    qui

    soulignons

    les

    termes mêmes qu'on retrouvera privilégiés

    chez

    Bally,

    corrélativement

    à la prépondérance du sujet parlant, alors que cette citation

    apparaît,

    chez

    Saussure,

    dans

    les «

    appendices

    aux 3e et

    4e

    parties »).

    6.

    Le

    rapport langage/pensée induit une théorie de

    la

    dérivation-composition : «

    montagnard

    » est

    un

    «

    vrai

    composé »

    parce

    que «

    psychologiquement

    (il) réunit deux idées, alors

    que

    foulard

    ne

    peut

    s'identifier

    qu'à

    la

    représentation

    d'un

    objet

    »

    (T.S.F.,

    p.

    37).

    C'est,

    selon

    les propres

    termes de Bally, une

    «

    conception du vocabulaire

    »

    (ibid.)

    qui

    s'élabore

    ici par

    la

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    que

    »

    (critique

    de la

    notion

    de «

    mot

    », de la

    décomposition

    des

    mots

    en

    préfixes,

    radicaux, suffixes) montre

    le

    lien

    entre la

    démarche

    historique

    et

    le

    formalisme

    analytique,

    tous deux

    rejetés

    du

    même

    geste

    parce qu ignorant

    « la

    réalité

    psychologique »

    :

    « Tout

    ce

    qui

    n'est

    pas sentiment

    linguistique

    spontané

    est

    étranger à

    l'état

    de

    langage

    étudié et ne peut faire l'objet de

    notre

    recherche

    » (p.

    34).

    Cette

    réalité

    psychologique

    impose

    à

    la

    stylistique

    son caractère synchronique

    :

    l'état

    de langue est certes « une

    fiction,

    puisque

    l'évolution

    est

    continue ; mais

    pour

    les

    sujets parlants

    elle

    est

    une

    réalité subjective » qui « finit

    par

    s'objectiver » {Le

    Langage et

    la Vie,

    1913,

    édition

    1952, p. 73,

    abrégé en L.V.).

    Le

    critère

    retenu par Bally

    de l'usage vivant de la langue

    maternelle,

    la spontanéité, garantit l'unité de l'état de

    langue chez tous

    les sujets

    parlants,

    chez

    qui l'on retrouve « un même réseau

    d'associations

    linguistiques

    » {ibid. p. 73).

    {Cf.

    également « Statique et histoire » in

    Linguistique générale

    et linguistique française,

    introduction p. 22).

    De manière plus générale,

    il

    s'agit

    de concilier l'expression de l'affectivité

    individuelle avec la

    thèse

    du langage fait

    social

    : nous n'exprimons

    «

    des

    mouvements de l'être individuel que

    la

    face

    accessible à la

    connaissance

    des

    autres individus

    ;

    autrement

    dit,

    on

    ne

    peut

    montrer

    ce

    qu'on

    pense

    et

    ce

    qu'on

    sent

    soi-

    même

    que par

    des moyens d'expression

    que les

    autres peuvent comprendre

    »

    {T.S.F., p. 6.

    C'est

    nous

    qui

    soulignons).

    Si la stylistique étudie « les faits

    d'expression

    (...) au

    point

    de vue de leur contenu

    affectif, c'est-à-dire l'expression des faits de la sensibilité

    par

    le

    langage

    et l'action

    des faits

    de langage sur la sensibilité » (p. 16), ces faits d'expression sont ceux

    du

    langage organisé, «

    ils concourent

    à

    former

    le système

    des moyens

    d'expression

    d'une

    langue

    »

    (p.

    1, c'est

    nous

    qui soulignons). La

    subjectivité pensée

    en

    termes

    d affectivité,

    d'émotivité, est

    inscrite

    dans la

    langue,

    précisément dans la

    langue

    parlée

    comme

    seule

    vraie

    norme

    supposant l'existence

    de situations de

    communication

    concrètes.

    Or, ces

    situations concrètes

    mettent en

    rapport des

    individus. Aussi faut-il

    prêter

    une

    attention

    particulière à

    la

    terminologie

    de

    Bally

    qui

    peut

    paraître

    «

    floue

    »

    au premier

    abord, et

    ne pas

    identifier

    individu

    et

    sujet.

    LINGUISTIQUE ET PSYCHOSOCIOLOGIE.

    Bally note

    que

    la

    marque

    « sociale »

    du langage peut être

    l'expression de «

    sentiments sociaux », c'est-à-dire de sentiments nés de

    faits

    étrangers à l'individu.

    De

    plus, dans le procès de

    communication,

    les «

    symboles

    d'expression » classent

    l individu

    socialement

    et

    reflètent

    les

    efforts qu il fait

    pour

    s'adapter

    socialement

    aux

    autres individus

    du

    groupe.

    Le

    «

    terme

    familier

    »

    est

    un

    exemple

    type

    des

    effets

    par

    évocation, qui informent sur le milieu (social) du

    locuteur,

    « avec les

    sentiments qu'y

    rattache

    celui qui le

    connaît » (p. 166). Il

    faut

    rapporter ce thème

    des

    « effets par

    distinction entre

    «

    famille étymologique

    »

    et «

    famille sémantique » avec

    toujours le critère

    décisif

    ainsi

    posé

    : « qu'est-ce

    qui se

    présente

    à la conscience du sujet parlant ?

    »

    (p. 42).

    Il

    est

    d'ailleurs intéressant de

    remarquer

    que

    la

    stratégie

    de

    l'argumentation

    linguitique chez Bally

    est souvent exprimée

    en termes de recours

    explicite

    au sujet parlant

    — Bally —

    dont l'écriture

    retrace

    le

    processus

    de pensée : «

    Mais pourquoi

    comparais-je

    tout

    à l'heure

    frêle à faible

    et

    (question plus

    importante),

    pourquoi

    faible est-il le

    premier

    mot qui se soit

    présenté

    à mon

    esprit pour expliquer frêle ? (...). Si

    je

    suis plus fortement affecté en prononçant le premier...

    »

    {T.S.F.,

    p.

    97).

    Ailleurs,

    le

    «je

    »

    peut

    devenir

    «

    nous

    »

    (pp.

    153-193).

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    évocation

    » à la problématique

    générale

    de

    Y

    association

    d idées.

    Si

    les

    « effets

    naturels » désignent les impressions qui «

    découlent

    directement de la

    signification

    des

    faits

    de langage »,

    Bally

    parle d «

    effets par évocation » lorsque

    les

    impressions

    « résultent indirectement

    des

    formes de vie et

    d'activité associées

    dans l'esprit

    aux

    faits

    de langage » (p. 221). L'étude des deux catégories d'effets

    constitue

    l'objet de la

    stylistique.

    Bally

    se

    montre particulièrement attentif

    à

    ce

    que le

    langage

    implique de

    « symbolique

    sociale

    » (p.

    222) :

    il complexifie la notion de « milieu » ou d « état »

    dans lequel interviennent les paramètres de classe sociale, de niveau culturel, de

    profession, de

    mode

    « d'activité

    » et de «

    pensée »... L'individu apparaît comme la

    résultante de «

    fils ténus d'influences contradictoires

    » (p.

    220). De nombreuses

    notations préfigurent à

    la

    fois

    les

    linguistiques

    sociales de la

    covariance mais

    plus

    encore

    les sociolinguistes

    américains quand ils mettent en évidence la systématicité des

    adaptation au « milieu » (p.

    221),

    à

    la

    situation de communication ;

    l adaptation

    non

    réussie est

    définie

    dans

    le

    T.S.F.

    comme

    facteur de

    classement (p.

    226) ; les «

    représentations

    » (p.

    222), le

    «

    dressage

    social

    », expression

    affectée

    de

    guillemets par

    Bally (ibid),

    la

    prononciation

    pensée

    comme

    facteur

    de

    ce

    que P.

    Bourdieu

    nommera

    l'« habitus », dessinent des linéaments qu'on retrouve

    par

    exemple

    chez

    W.

    Labov et

    les

    sociolinguistes

    américains

    quand ils

    mettent

    en évidence la

    systématicité des

    changements

    stylistiques suivant

    les

    interlocuteurs, et

    des adaptations

    linguistiques

    à

    chacune des

    situations.

    Insistant sur la nécessité de

    l'intelligibilité

    de la communication, Bally ne cesse de

    souligner

    en même temps le « caractère vital et personnel de la plupart des choses

    exprimées » (p. 287).

    Mais

    le traitement des

    facteurs

    psychologiques et sociaux

    n'enferme pas Bally dans une problématique

    psychologique

    ni sociologique dans la

    mesure

    « le langage

    est

    ici but, non moyen... Nous ne faisons pas de la

    psychologie

    du langage,

    pas

    plus

    que

    nous

    prétendons

    faire

    de

    la sociologie

    »

    (p.

    28).

    Bien sûr, le T.S.F. comme d'autres

    textes

    de

    Bally,

    L.V. en particulier,

    n'est

    pas

    avare

    de

    données psychosociologiques

    générales,

    voire

    de catégories

    philosophiques (instinct,

    jeu, nature, vie,

    intention...),

    d'oppositions

    constituant

    deux

    paradigmes : celui de la langue «

    sentie »,

    « vécue », « concrète », « affective »

    vs

    celui de

    l'expression abstraite, «

    intellectuelle

    » ;

    Bally

    fait à la fois référence à des

    classifications

    de psychologues («

    les tempéraments sanguins

    »,

    « colériques

    »,

    «

    flegmatiques », «

    sentimentaux

    »

    ... T.S.F. p. 27),

    à des caractérisations psychosiociologi-

    ques comme la «

    mentalité

    moyenne » (en italiques chez Bally)

    qui

    est l'un des

    facteurs

    qui déterminent les

    attributs

    propres de la

    langue

    parlée («

    l'homme

    moyen

    pense

    pour

    vivre

    et

    ne vit

    pas

    pour

    penser

    »,

    T.S.F.

    p.

    287). Il

    fait

    aussi

    appel

    à

    des

    notions

    socio-historiques

    comme la « mentalité

    européenne

    » (dont les calques et

    emprunts seraient une preuve),

    ce

    qui

    l'amène

    à risquer l'idée

    qu il y

    a une «

    stylistique

    européenne » (ibid., p.

    23).

    Evidemment attentif à

    la

    spécificité du français, Bally

    n'en

    fournit

    pas

    moins des

    directions

    de

    linguistique

    générale

    et

    livre

    une conception des

    rapports langue/pensée

    plus

    complexe que la

    problématique classique

    de

    type expressiviste

    à

    laquelle

    on

    serait

    tenté

    de

    le

    réduire, jusqu à l'ouverture de perspectives énonciatives et

    pragmatiques.

    89

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    7/11

    DE LA LINGUISTIQUE PSYCHOLOGIQUE

    À LA THÉORIE

    DE

    L ÉNONCIATION

    Si le langage a

    pour tâche d'exprimer

    «

    d'abord

    » des «

    idées

    »,

    cette

    intellectualisation de principe apparaît

    intenable à

    В

    ally

    :

    comme « nous

    sommes

    esclaves

    de

    notre

    moi...

    ce

    langage,

    qui exprime aussi

    des

    idées, exprime

    avant

    tout

    des

    sentiments

    »

    {T.S.F.,

    p.

    6)

    :

    « Les

    mots

    les plus

    ordinaires tels que chaleur,

    froid, marcher,

    courir, etc..

    évoquent

    en

    nous

    des

    sentiments

    avant de

    réveiller

    des idées

    ; on

    peut

    être

    à

    peu près

    sûr que,

    suivant

    les

    personnes et

    les

    circonstances,

    la phrase :

    «

    il pleut

    »

    fera surgir une

    impression

    de

    plaisir

    ou

    de

    déplaisir

    avant de faire concevoir l'idée de la

    pluie.

    Il

    en

    va

    tout

    autrement

    dans

    une

    langue étrangère...

    »

    (p.

    159).

    Il

    conviendra de

    développer

    ici les positions philosophiques de Bally, la genèse de son

    anti-logicisme

    et

    de son anti- ntellectualisme (cf., dans ce

    numéro, l'article

    de J.

    Medina).

    Il

    n'en

    reste pas moins

    que

    sa

    problématique est celle

    d'un linguiste

    :

    l'objet de la stylistique est l'expression parlée, et

    non

    le fait pensé. A

    la

    psychologie

    du langage de s'occuper des « liaisons

    pensées

    sans être

    exprimées

    » {T.S.F., p. 313 ;

    c'est tout

    au

    moins la position du « premier Bally

    »).

    Ainsi, ce qui compte, c'est

    d'inventorier,

    dans

    une expression

    donnée,

    la combinaison

    des

    moyens

    qui

    concourent à l'expressivité : par

    exemple

    le

    rôle de l'intonation

    et de

    l'ellipse dans l'énoncé

    « le malheureux »

    et

    plus généralement l'importance de la mimique, de la

    gestua-

    lité, de

    tous

    les

    procédés

    de la syntaxe « affective »

    (par

    exemple la

    présence ou

    l absence

    du déterminant — le — dans un S.N. apposé, p. 261),

    la

    nécessité de

    partir

    pour

    l'examen d'un fait de langue « d une situation et d un contexte

    déterminés

    »

    (L.V., p.

    66)

    qui peuvent transformer

    une phrase

    banale en

    une formule pathétique

    (« c'est

    toi

    qui as fait cela »,

    ibid

    p. 77), la constitution d une théorie des

    associations.

    Si le langage « reflète » la «

    vie

    de l'esprit », « réalise le contenu de

    la

    pensée »

    (T.

    S.

    F.,

    p.

    152),

    il

    le fait

    imparfaitement

    :

    «

    Les

    tendances

    fondamentales

    de

    notre

    esprit ne se réalisent

    que

    partiellement

    dans

    le

    langage

    (p. 165 et s.) et (...) en définitive le langage est un instrument toujours imparfait de

    l'idée

    pure

    »

    {ibid., p.

    163).

    Mais

    alors

    que

    la langue est impuissante

    à

    refléter

    le tout de

    l'esprit,

    il arrive

    aussi

    que

    ce

    soit

    « l'infirmité de l'esprit

    humain

    » qui produise

    un

    langage comme le

    langage figuré (ibid, p. 187).

    La stylistique de Bally se trouve placée au point d'intersection entre l'esprit et

    la

    langue (le parler)

    : si

    l'esprit possède une

    tendance

    naturelle (le «

    besoin logique »,

    dans

    les

    termes

    du

    T.S.F., p. 40) à organiser une production

    analogique (fabriquer

    tel adverbe sur tel adjectif), l'usage ne sanctionne pas toujours

    ces tentatives

    de

    réalisation. Alors que

    les associations des

    «

    sujets parlants sont spontanées,

    toujours

    plus

    ou

    moins

    affectives

    et

    la

    plupart

    du

    temps

    inconscientes

    »

    (p.

    60),

    qu il

    existe

    chez

    le

    sujet parlant « une synonymie

    inconsciente

    » (par opposition au

    processus

    de la

    définition qui n'est

    pas naturel

    mais

    étranger

    au maniement spontané du langage), c'est

    à la

    stylistique qu il

    revient d'établir «

    des

    distinctions et

    des tendances générales

    en

    constatant

    consciemment

    ce

    que l'esprit du

    sujet parlant sent inconsciemment »

    (p.

    28).

    Sur

    le

    plan théorique, Bally serre

    de

    près

    la non-univocité

    des

    relations

    entre

    « procédés

    linguistiques

    »

    et

    « faits de langage » :

    «

    On ne trouverait guère, à une

    époque

    déterminée, de

    moules

    syntaxiques (temps,

    modes, cas, relations par prépositions ou

    conjonctions,

    etc..)

    qui

    ne servent

    qu'à

    une

    fonction

    déterminée,

    et inversement, on ne

    trouverait pas

    de

    forme

    de

    pensée

    qui

    ne

    se reflète

    que

    dans

    un seul

    procédé

    »

    (p.

    257).

    90

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    8/11

    Sur le

    plan méthodologique,

    la

    perspective adoptée est

    de se

    poser

    la question

    à

    propos

    d'une

    langue particulière, le

    français

    par

    exemple : comment

    peut-on

    exprimer

    qu on désire faire

    une

    chose ? Alors qu un

    verbe

    « désidératif » serait

    un

    moyen

    direct (les

    moyens

    d'expression

    directs

    sont les

    procédés

    lexicologiques) d'exprimer le

    désir, le

    français a

    la

    tournure

    si + imparfait de l'indicatif (les

    procédés syntaxiques

    sont

    les

    plus

    importants

    des moyens d'expression

    indirects)

    . Loin

    que la

    correspondance

    univoque

    soit

    la

    règle,

    le

    normal dans

    les

    langues, c'est

    qu un

    même

    signe

    ait

    «

    plusieurs

    valeurs, et

    que

    chaque

    valeur [soit]

    exprimée par plusieurs signes » {L. V.,

    p. 66). Ainsi, en chercheur

    et

    en enseignant, Bally détermine

    une

    méthodologie qui

    fait

    débat encore

    aujourd'hui sur

    le

    terrain de

    l'apprentissage

    des

    langues

    :

    « La

    seule

    méthode rationnelle consiste donc

    à

    partir

    des

    modalités et

    des rapports

    logiques supposés chez tous les

    sujets

    parlants d'un

    groupe linguistique

    et de

    chercher

    les

    moyens, quels

    qu'ils

    soient, que la langue met à la disposition

    des sujets pour

    rendre

    chacune de ces

    notions,

    chacune de ces modalités, chacun de ces rapports » {T.S.F., p. 129,

    c'est

    nous

    qui

    soulignons).

    Tout se passe comme si,

    au

    fur et à mesure de l'intégration

    par

    Bally de la con-

    ceptualité saussurienne,

    l'accent

    se

    déplaçait

    d'une

    « linguistique psychologique » vers

    une

    linguistique unissant la

    connaissance

    du

    système

    (étude

    des rapports entre

    signifiants/signifiés) à une « théorie de renonciation »

    (première

    partie de

    L.G.L.F.)

    :

    confirmer

    que

    « dans

    un

    système tout se tient » {ibid, p. 13) ce qui ne

    veut pas dire que tout

    est

    « harmonie

    » (voir

    infra), insister

    surtout

    sur l'« emprise

    de

    la

    langue

    sur

    la

    pensée

    » (p. 13) et faire ainsi mieux

    ressortir

    « la caractéristique

    du français

    » (la comparaison

    avec

    l'allemand est constante),

    tels

    sont les traits

    marquants de l'ouvrage

    L.G.L.F.

    La « théorie de renonciation » chez

    Bally

    propose

    non seulement

    la dichotomie

    entre

    « dictum » et « modalité » (corrélative à l'opération

    du

    sujet pensant)

    8,

    et,

    ce

    7.

    Il

    est important de noter

    la

    part restreinte dévolue

    à

    la

    syntaxe

    dans le Traité de

    Stylistique française

    en

    particulier

    (seulement

    travaillée

    dans la 6e

    partie

    de

    l'ouvrage, pp. 250 et sq. ).

    Bally reprend d'ailleurs

    (p.

    132)

    explicitement

    l'argument

    de Tobler

    selon

    lequel «

    la

    plupart

    des faits de

    syntaxe

    se réduisent à des

    faits

    lexicologiques

    ».

    On peut voir

    dans

    ce

    privilège

    du

    lexical

    un corollaire de l'attention au paradigmatique,

    aux

    associations, par opposition

    à

    un

    certain formalisme du syntaxocentrisme tel que

    Bally

    le critique à travers

    des

    procédures

    comme

    celles de l'analyse grammaticale et

    logique.

    Bally,

    attentif

    à

    l'implicite («

    Marseille,

    le

    vieux

    port

    »,

    légende

    d'une gravure,

    suppose l'existence

    d'un nouveau port), y compris à

    la

    grande catégorie des

    syntagmes implicites (cumul, signe zéro,

    ellipse,

    hypostase),

    critique

    «

    l'étude

    exclusive

    des

    formes

    matérielles et perceptibles du discours :

    conséquence de

    l attention

    trop

    grande accordée

    aux

    textes écrits » {L.G.L.F.,

    p.

    23). Dans le procès de

    communication

    il

    note

    que

    l'explicitation n'est

    pas

    nécessairement un

    facteur

    de

    compréhension

    :

    «

    l'expression devient

    même plus

    claire

    et plus incisive

    à

    mesure que les mots font défaut »

    {L.G.L.F.,

    p.

    41). Il est signiticatif de constater que

    ce

    « retour

    du

    lexique » trouve

    son

    plein

    rendement

    dans

    le

    développement

    actuel

    d'une lignée pragmatique

    qui

    veut

    faire

    la jonction

    avec la

    sociologie. La construction d'une théorie pragmatique du lexique

    avec des

    travaux

    au

    niveau du mot, de

    la

    dérivation (le T. S. F. est singulièrement occupé

    de

    ces questions)

    pour

    montrer

    que

    la

    signification

    est

    inséparable

    de la

    référence

    et

    de l'usage

    social des

    mots,

    semble

    à

    l'ordre

    du

    jour (cf. le n° 46

    d'Actes

    de

    la recherche

    en

    sciences

    sociales,

    « l'usage de

    la

    parole

    »,

    mars

    1983).

    8.

    A

    Culioli propose en 1969 l'« Ebauche

    d'une

    théorie des modalités

    »

    (Conférence

    prononcée devant la

    Société

    de

    Psychanalyse).

    E.

    Roulet, dans le

    cadre

    pragmatique (cf.

    Communicat ions,

    32, 1980, p.

    216),

    fait référence à

    un article de

    Bally

    (1943)

    sur

    les auxiliaires

    modaux,

    «

    Syntaxe

    de

    la

    modalité explicite

    »,

    Cahiers

    Ferdinand

    de Saussure, n°

    3,

    pp.

    3-13,

    qu'il situe

    comme initiateur d'un

    courant

    poursuivi

    par

    E.

    Benveniste.

    91

  • 8/19/2019 lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506

    9/11

    faisant,

    une définition

    de

    la phrase qui convertit l'analyse logique en analyse

    psycholinguistique, mais encore elle

    distingue la manifestation

    du sujet parlant dans des

    catégories grammaticales spécifiques de sa

    présence

    implicite dans certains

    ensembles

    des parties

    du

    discours (adjectifs,

    substantifs,

    etc.)

    :

    d'où

    l'analyse des déictiques,

    catégorie génétiquement première,

    aux

    dires de Bally, dans l'histoire des langues

    indo-européennes, et des

    termes évaluatifs,

    relatifs

    à la

    norme portée par

    le sujet

    d'énonciation

    {cf.

    «

    Les

    notions

    grammaticales

    d absolu

    et

    de

    relatif »,

    Essais

    sur

    le

    langage, éd. de minuit, 1969). Plus encore, elle intègre

    le

    contexte linguistique (geste,

    mémoire, vue) pour chercher à penser ses

    modes d'intervention

    et son

    efficace

    dans

    les actes du

    discours.

    Il

    s'agit

    d'une prise en compte de

    l'énonciation

    totale

    selon

    les

    propres termes

    de Bally.

    Travaillant

    sur les phénomènes de

    dislocation,

    d anticipation

    et

    d'anaphore,

    Bally, avec

    la

    distinction

    thème/propos

    {L.G.L.F.,

    p.

    53)

    retrouve,

    à

    partir

    de ses propres

    thèses,

    les

    orientations

    de la linguistique textuelle

    inaugurée

    par l'école

    de Prague

    (cf. B.

    Combettes, 1983, Pour

    une

    grammaire

    textuelle, De Boeck-Duculot) ;

    l'étude de

    la

    segmentation,

    de la thématisation

    vient

    contredire la

    thèse

    de la linéarité linguistique :

    «

    C'est l'expressivité

    qui

    est la plus

    grande

    ennemie du discours déroulé sur une

    ligne...

    »

    {L.V.,

    p.

    94).

    On

    voit bien ici Bally s'inscrire dans une tradition qui

    conteste

    l'emprise du logico-

    grammatical,

    le

    modèle « analytique » avec

    la priorité

    accordée

    au jugement,

    à

    l'entendement sur

    le

    « sentiment » et

    la

    « volonté »

    :

    travailler

    sur

    l'organisation

    thématique

    du

    discours, précisément celui de «

    la

    langue parlée », permet de maintenir

    dans la

    langue

    la

    présence

    de la

    subjectivité.

    Bien plus,

    l'omniprésence

    du

    sujet

    d'énonciation

    chez Bally, même

    si

    ses traces

    ne

    sont

    pas

    matérielles,

    recouvre là

    aussi

    une complexification

    qui fait sa

    place à une théorie

    de la production

    comme à une

    esquisse

    de théorie de la réception : Bally se

    montre

    attentif d'une

    part au clivage, à

    l'hétérogénéité du sujet parlant partagé

    entre

    le

    sentiment

    et l'intellect ; d'autre part,

    il

    insiste

    sur le déséquilibre

    entre les

    deux versants de la

    parole :

    la parole, du point

    de

    vue

    du

    sujet

    parlant,

    est

    «

    moyen

    d'action

    et

    d'expression

    »

    9

    ;

    du point

    de

    vue du

    sujet

    entendant,

    elle est « source d'impressions et de réactions » (L.V., p. 58).

    Or,

    « intentions et effets

    ne se recouvrent pas

    toujours »

    {ibid).

    Si l'étude de

    l'appropriation

    individuelle de l'appareil formel de la

    langue

    préfigure Benveniste, Bally n'oublie

    jamais

    de tenir le rapport

    entre

    expression

    et

    communication,

    sujet

    et social

    10.

    A l'encontre

    de la manière

    dont

    est traditionnellement

    caractérisé le sujet parlant «

    porteur

    de choix, intentions, marquant de manière

    naturelle et

    licite

    ce qu il énonce » (la formule

    est

    d'A.

    Meunier,

    «

    Sechehaye,

    Bally : Le

    sujet et la

    vie», D.R.L.A.V.,

    p. 150, op. cit. note 2) n, Bally s'intéresse aux

    9.

    Avec

    l'affectivité,

    l'activité face

    à

    l'autre

    est une

    forme

    fondamentale

    de

    la

    «

    vie

    du

    langage » : force

    de

    rupture, instrument

    de lutte, l'acte de langage est

    aussi atténuation,

    euphémisme, élément du «

    consensus

    » dans

    la

    «

    communauté

    linguistique » voire de l'« hypocrisie

    sociale » {L.V.,

    p. 21)

    : « Le

    langage devient

    alors

    une

    arme

    de

    combat :

    il s'agit

    d'imposer

    sa

    pensée aux autres

    :

    on

    persuade,

    on prie, on

    ordonne,

    on défend

    ;

    ou bien

    parfois la

    parole

    se

    replie

    et

    cède :

    on ménage l'interlocuteur,

    on esquive son

    attaque, on

    cherche à capter sa

    faveur, ou bien on lui témoigne

    son

    respect, son

    admiration

    » {L.V., p. 18).

    10.

    Bally

    note l'antinomie entre expression et communication

    :

    « La pensée tend vers

    l'expression intégrale,

    personnelle,

    affective,

    la

    langue cherche à communiquer

    la

    pensée vite et

    clairement

    » {L.V., p. 80). Cf. également

    la

    fin de L.G.L.F.,

    p.

    363 sq., « Le français langue

    de communication »).

    11. Dans

    ce

    même ensemble, F. Armengaud

    note à

    juste

    titre

    que «

    la conception

    expressi-

    viste

    s'accorde

    parfaitement

    avec

    une

    vue

    objectiviste

    et

    fonctionnelle

    de

    la communication,

    92

  • 8/19/2019 lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506

    10/11

    «f

    nécessités impérieuses

    auxquelles

    obéit le

    langage

    dans

    sa

    fonction

    naturelle et dans

    sa

    fonction sociale

    » {T.S.F., pp. 179-180, c'est

    nous

    qui soulignons).

    C'est dire à quel point les

    perspectives

    de Bally s'inscrivent contradictoirement à

    la

    visée

    stylistique classique,

    selon

    laquelle

    une

    « étude de style » doit

    montrer

    la

    manière dont un

    auteur se libère

    des servitudes linguistiques

    12. Pour

    Bally,

    il

    s'agit

    d'abord

    de dégager les

    contraintes expressives et

    leurs

    mécanismes

    :

    d où son

    attachement

    à

    souligner

    les

    démarcations

    entre

    sa

    démarche

    et

    celle

    de

    la

    «

    critique

    littéraire ».

    Alors que

    sa stylistique

    étudie

    la

    «

    nature d'un fait

    d'expression

    », la critique

    littéraire s'intéresse à «

    l'emploi (volontaire,

    conscient, à visée

    esthétique) qu en

    fait

    un

    auteur » (T. S. F., p.

    19),

    ce qui n'empêche pas

    parfois le recours

    aux exemples

    littéraires. Loin d'être pensés en terme

    d'«

    écart

    », les « procédés du

    style

    ne

    font

    qu'organiser et régulariser les tendances naturelles du

    langage

    sponatané » (T.S.F.,

    p. 100). Plus généralement et en

    rapport

    avec la «

    seconde

    »

    conception

    de

    l arbitraire

    qu il

    développe (cf.

    J. Médina), Bally critique les

    conceptions

    qui attribuent

    une valeur «

    esthétique

    » aux langues, les thèses des effets onomatopéiques ou

    de

    l'«

    harmonie imitative »,

    toutes

    ces dérives mimétiques

    que

    Gérard Genette a

    auscultées

    dans son «

    Voyage

    en Cratylie » (Mimobgiques,

    Seuil,

    1976).

    Si la « stylistique de l'écart » semble étrangère à la

    pensée

    de Bally, la possibilité

    d'un travail sur le

    fonctionnemnet

    globalisant des textes figure

    par contre

    dans sa

    trajectoire de recherche. Dès le T. S. F., il

    expose une esquisse

    d'analyse des discours

    avec un développement sur «

    la langue

    scientifique » (p. 117 «g)

    appuyé

    par un

    « choix

    des

    textes » (p. 119,

    Bally

    présente un extrait de A. Meillet comme « texte

    scientifique authentique »), sur la « langue littéraire » (p. 237 sq), sur la « langue

    administrative » (p. 239).

    Il y a

    donc

    bien des éléments à ranger

    sous

    la rubrique « ébauches

    théoriques

    étonnantes » que nous

    évoquions

    au

    début

    de cet article

    et

    l'œuvre de Ch. Bally peut

    sans

    doute se

    prêter à un traitement dans

    la

    problématique

    des lignées, influences,

    filiations, etc. Le

    point

    de départ était ici différent : à partir de

    l'examen

    de

    la

    configuration épistémologique contemporaine

    le concept de sujet parlant apparaît

    central, il

    s'agissait

    de situer les théories où il fonctionne de manière excentrée

    (Saussure )

    ou

    dominée

    (le

    « structuralisme »). Plus précisément, s'il est vrai

    qu à

    l intérieur

    du

    champ linguistique aujourd'hui,

    le

    «

    domaine de mémoire

    » (au

    sens de

    M.

    Foucault

    dans

    l'Archéologie

    du

    savoir)

    des

    théories

    énonciatives

    et

    pragmatiques

    en

    France englobe Bally comme une

    référence anticipatrice, il

    importe de montrer la

    cohérence, la consistance, la

    systématicité

    de la «

    stylistique

    » de Bally, malgré ce

    qui peut

    apparaître comme

    des flous

    voire

    des défauts de

    conceptualisation,

    et, en

    telle qu'on

    la

    retrouve tant

    chez

    Shannon

    que

    chez

    Jakobson

    »,

    conception pour

    laquelle «

    parler

    consiste

    à mettre en mots et en phrases, dont

    on

    ferait

    un choix

    libre et souverain, ce que

    l'on veut

    dire

    ».

    La

    problématique du

    locuteur

    comme

    «

    penseur

    qui

    s'exprime » (in

    «

    Locuteur

    en relation

    :

    vers un

    statut

    de co-énonciateurs

    »,

    D.R.L.A.V., p. 72) et

    celle

    de l'échange

    verbal

    fonctionnalité

    se confortent partout, jusque dans la tradition pédagogique française (cf.

    l'histoire

    des

    Instructions officielles

    pour l'enseignement du

    français).

    12.

    Cf.

    D.

    Delas,

    J.

    Filliolet

    :

    Linguistique

    et

    poétique (Larousse,

    1973),

    particulièrement

    le

    chap. 3 « Linguistique

    structurale

    et stylistique ».

    93

  • 8/19/2019 lgge_0458-726x_1985_num_19_77_1506

    11/11

    même temps, suggérer

    que

    cette œuvre

    n'est

    pas une nouvelle matrice. On peut

    la

    considérer comme la réactivation

    d'une

    matrice préexistant à

    Saussure

    marquée

    à

    la

    fin

    du

    XIXe au

    sceau

    de l'oral, de

    la

    langue vivante — ce

    que

    S. Auroux a pointé

    avec la catégorie du

    parler

    13, « thèmes » récurrents dans la

    pragmatique

    et certaines

    approches philosophiques et anthropologiques

    préoccupées par

    les articulations du

    langage

    et

    de

    la vie et

    le

    « souci de l'authentique ».

    Il

    reste

    que

    ce n'est

    pas

    une

    découverte

    de

    penser

    que

    l'activité langagière

    dans

    le

    jeu

    réglé

    de

    la

    communication

    ne peut être

    enfermée

    dans la « linguistique de la parole »

    au

    sens saussurien du

    terme.

    Bally,

    plus que tout autre prédisposé

    à

    l'accepter, a cessé

    rapidement

    de le

    croire.

    Pourquoi alors vouloir continuer à penser que la

    distinction

    saussurienne

    langue/ parole a ouvert la voie à un structuralisme linguistique ignorant le rôle du

    sujet parlant, « structuralisme » en réalité introuvable dans la

    situation

    française ?

    13. Cf. « La catégorie

    du

    parler et

    la linguistique

    », Romantisme, 25/26,

    1979.

    Il faudrait

    sans

    doute

    encore élargir

    la

    perspective

    pour

    analyser « l'obsession

    de la reconnaissance du

    locuteur

    dans

    la

    langue

    »

    (expression

    de

    S.

    Delesalle,

    «

    L'évolution

    de

    la

    problématique

    de

    l'ordre des mots du XVIIe

    au XIXe siècle

    en

    France. L'importance de

    l'enjeu

    »,

    D.R.L.A.V.,

    22/23, 1980), qui traverse toute la

    pensée

    linguistique européenne du milieu du XIXe siècle au

    CL. G. et au-delà, et penser le

    rapport

    de ces problématiques

    du sujet,

    grammatical,

    logique,

    psychologique

    telles

    qu'elles

    fonctionnent

    chez les grammairiens

    avec le développement

    des

    philosophies (ce qu'entament,

    après

    d'autres et à des titres

    divers, plusieurs

    collaborateurs de

    ce

    numéro

    de

    Langages).

    14. Les

    articles

    consacrés au

    Bulletin de la

    Société de Linguistique

    de

    Paris,

    à

    G.

    Gougen-

    heim

    et G. Guillaume dans

    LINX

    (Bulletin

    du

    Centre de

    Recherches

    Linguistiques de Paris X

    Nanterre

    n° 6, 1982,

    « Les

    débuts

    de

    la linguistique

    structurale en

    France 1937-1950

    »)

    montrent plus

    les

    avatars

    d'une

    réception que

    la

    constitution

    d'un

    structuralisme

    français,

    au sens

    l'on

    parle

    du

    fonctionnalisme

    pragois, de

    la

    glossématique

    danoise ou du distributionnalisme

    américain.

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