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LES ACTUS CAPITAL LE FAIT DU MOIS 20 CAPITALAOûT 2017 Emmanuel Macron et Theresa May lors de leur rencontre, le 13 juin dernier, à l’Elysée. LIEWIG CHRISTIAN/ABACA

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Emmanuel Macron et Theresa May lors de leur rencontre, le 13 juin dernier, à l’Elysée.

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PAR PHILIPPINE ROBERT

POURQUOI LES ANGLAIS ONT EU TORT DE NOUS QUITTERAprès avoir tenu le choc dans les premiers mois qui ont suivi le vote en faveur du Brexit, l’économie britannique commence à ralentir à cause de la chute de la livre et des incertitudes liées aux négociations. Et la tendance devrait se poursuivre.

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AUJOURD’HUI (2017)

DEMAIN (2021)

LA CROISSANCE BRITANNIQUE EST EN TRAIN DE PLONGER

Evolution du taux de croissance du Royaume-Uni, en % du PIB (prévisions pour 2017 à 2021).

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n an après le vote des Britanniques en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le 23 juin dernier, rien ne semble avoir changé à Canary Wharf, les docks de Lon-dres reconvertis en quartier d’af-faires. A l’heure du «lunch break», la pause déjeuner des An glais, des ca-dres en costume-cravate ou tailleur- escarpins sortent des immeubles de Bar clays ou de HSBC pour manger sur le pouce leur salade, se détendre dans un parc, boire un soda ou se défouler sur d’éphémères courts de tennis. «Pour le moment, le Brexit n’a pas modifié mon quotidien, témoi-gne Jacob T. Même si nous sommes nombreux à avoir une certaine crainte de l’avenir, nous avons tou-jours du travail et la vie continue.» Bref, comme le rappelle le célèbre slogan imprimé sur les mugs pour touristes : «Keep calm and carry on ! (Restez calme et continuez !)».

Sacrés Britanniques ! A la stupéfac-tion des cassandres qui leur prédi-saient affres et tourments, nos voi-sins d’ou tre-Manche ont con servé leur flegme légendaire. Il est vrai que, jusqu’à présent, ils n’ont pas eu de quoi trop paniquer. En dépit du Brexit, la croissance s’est maintenue au très honorable taux de 1,8% en 2016, et aucune catastrophe n’est venue plomber l’économie du pays. La City n’a pas disparu, les entre-prises n’ont pas plié bagage et l’Ecosse est encore bien accrochée au navire amiral. Sur les vitrines des boutiques et des restaurants lon-doniens, les offres d’emploi sont toujours aussi nombreuses, et le chômage est descendu début 2017 à 4,6%, du jamais-vu depuis 1975. On aimerait bien en dire autant chez nous ! «L’économie s’est mon-trée plus résiliente que ce que nous avions prévu», résume Axelle Lacan, économiste chargée du Royaume-Uni à l’institut COC-Rexecode. «Le pays demeure relativement attrac-tif», confirme Marc Lhermitte, asso-cié chez EY. Grâce à leur droit du tra-vail ultraflexible, à leur fiscalité avantageuse et à leur environne-ment probusiness sans égal sur le Vieux Continent, les Britanni ques ont même pu se féliciter de quel-ques bonnes nouvelles cette année. Snapchat a ainsi décidé d’ouvrir un QG à Lon dres, et Face book a, pour

POURQUOI LES ANGLAIS ONT EU TORT DE NOUS QUITTER

C’EN SERAIT FINIDU PLEIN-EMPLOI

ENCASDEHARD BREXIT,L’ÉCONOMIEBRITANNIQUESOMBRERAITDANSLATOURMENTE

sa part, prévu d’augmenter ses em-bauches dans l’île.

Le problème, c’est que cela risque de ne pas durer. «Depuis le début de l’année, la croissance a commencé à marquer le pas», constate Chris-tophe Barraud, chef économiste chez Market Securities. Alors que la conjoncture mondiale s’améliorait, l’activité a en effet traîné les pieds dé-but 2017 (+ 0,2% au premier tri-mestre), le Royaume-Uni se plaçant même derrière la zone euro (+ 0,5% de croissance moyenne dans la pé-riode). Et le ciel s’assombrit de jour en jour. «L’économie va poursuivre son ralentissement», prévient Angus Armstrong, du National Institute of Economic and Social Research. L’OCDE table ainsi sur une crois-sance de 1,6% cette année et de seu-lement 1% en 2018, bien loin des per-formances auxquelles nous avaient habitués les sujets de Sa Majesté (au-tour des 2%). Sortez les parapluies !

CE RETOURNEMENT annoncé de-puis longtemps s’explique en pre-mier lieu par la chute de la livre sterling. Effrayés par les implications d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les investis-seurs se sont en effet débarrassés de leurs devises juste après le référen-dum, et les mois qui ont suivi n’ont pas inversé la tendance. Au total, la monnaie a perdu près de 15% de sa

Si Michel Barnier, le

négociateur de l’UE (à droite), et

David Davis, celui du

Royaume-Uni, s’en-

tendent, les Britanniques

pourraient éviter la

catastrophe. Sinon…

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Taux de chômage au Royaume-Uni (prévisions pour 2017 à 2021).

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Août 2017CAPITAL 23

L’INFLATIONS’EMBALLERAIT

LES ENTREPRISES CESSERAIENT D’INVESTIR

ENCASDEHARD BREXIT,L’ÉCONOMIEBRITANNIQUESOMBRERAITDANSLATOURMENTE

valeur par rapport au dollar, pour le plus grand malheur des consomma-teurs. Car la dégringolade de la livre renchérit mécaniquement le coût des denrées et services achetés par les Anglais à l’étranger. Les prix de l’essence, des vêtements, des ali-ments, du vin, et même celui du sacro-saint thé, ont bondi, et l’infla-tion, qui était proche de 0% avant le Brexit, frôle désormais les 3%. «Elle devrait encore s’accentuer cet été», prévient Ana Boata, économiste char gée de l’UE chez Euler Hermes. Comme les salaires n’ont pas pro-gressé aussi vite, le pouvoir d’achat a fini par baisser. «J’ai été obligé de pio-cher dans mes économies pour maintenir mon niveau de vie», nous confie Rick, jeune employé londo-nien, déconfit de devoir convertir ses livres à un taux de change beaucoup moins favorable qu’auparavant pour son prochain voyage en France.

Comme lui, de nombreux mé-nages ont anticipé la hausse des prix en puisant dans leur bas de laine. Cela a permis de soutenir la croissance et de tenir le coup après le choc en 2016. Le problème, c’est que les réserves sont maintenant presque épuisées. En quelques mois à peine, le taux d’épargne a diminué de moitié pour atteindre son point le plus bas depuis cin-quante ans (3,3% du revenu dispo-nible brut). Autant dire que les

Britan niques, déjà très endettés, vont désormais devoir limiter leurs virées shopping et mettre moins de marmelade et de bacon dans leur Caddie chez Tesco. Rude.

EN CONTREPARTIE,� la baisse de la livre aurait dû avoir des effets positifs sur la compétitivité des entreprises, puis qu’elle fait baisser mécanique-ment le prix des exportations. Mais cet effet théorique n’a que peu joué. «Le Royaume-Uni vend beaucoup de services haut de gamme, notam-ment dans le secteur financier. Or ces derniers sont assez peu sensibles aux variations de prix», explique Patrick Artus, de Natixis. Ajoutons que les sociétés locales, qui impor-tent beaucoup de biens intermé-diaires pour fabriquer leurs produits, ont subi, comme les ménages, la hausse des prix. Elles ont donc dû compresser leurs marges ou aug-menter leurs propres prix pour com-penser. Du coup, elles ont perdu en profitabilité et les défaillances se multiplient (+ 4% cette année).

Une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, le référendum a créé de surcroît une forte incertitude pour les firmes installées outre-Manche et chez les investisseurs étrangers. Pour le moment, ils baignent tous dans le «fog». Les négociations, qui ont com-mencé fin juin, déboucheront-elles sur un «hard» ou sur un «soft» Brexit ?

L’UE et le Royaume-Uni réussiront-ils à s’entendre dans les deux années imparties, ou se sépareront-ils sans accord en 2019 ? Les barrières doua-nières vont-elles faire leur retour ? Les établissements financiers de la City devront-ils avoir obligatoire-ment un pied sur le Vieux Con ti-nent ? Pourront-ils embaucher faci-lement des talents européens ? Autant de questions qui restent pour le moment sans réponse. Le récent échec électoral de Theresa May (la Première ministre britannique avait convoqué des élections en juin pour renforcer son mandat, mais a finale-ment perdu la majorité absolue) n’a fait que brouiller un peu plus les pistes. «Il est devenu presque impos-sible de faire des scénarios», se déses père Christophe Barraud.

Déboussolées, les entreprises ont appuyé sur le bouton «pause» en at-tendant d’y voir un peu plus clair. La compagnie aérienne à bas coût Ryanair ou le publicitaire JCDecaux ont par exemple gelé leurs investis-sements et leurs embauches au Royaume-Uni. «Nos entrepreneurs hésitent à se lancer dans de nou-veaux projets», confirme Olivier Cam penon, président de la Chambre de commerce franco-britannique. Résultat : l’investissement, qui avait déja baissé en 2016 (– 1,5%), «devrait continuer de s’étioler tout au long des négociations», estime Marie Albert, responsable du risque pays à la Coface. Le marché des fusions- acquisitions est lui aussi en panne. «Le nombre de deals mis en attente a augmenté de 73% depuis le vote», calcule Ana Boata. Quant à la ville de Londres, elle a perdu 20 points au baromètre des métropoles préférées des dirigeants réalisé par le cabinet d’audit EY, et n’est désormais plus qu’à 2 points devant Paris. «Avant le Brexit, la question ne se posait même pas, il fallait être à Londres. Maintenant, nous regardons les offres ailleurs», confie Phi lippe Chalon, secrétaire général du Cercle d’outre-Manche, un think tank franco-britannique.

Il faut dire qu’aller placer ses billes de l’autre côté du Channel revient aujourd’hui à jouer à quitte ou dou-ble. En particulier dans le secteur financier, fleuron de l’économie

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Evolution de l’indice des prix à la consommation (prévisions pour 2017 à 2021).

Taux d’investis-sement des entreprises (prévisions pour 2021).

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britannique. Les autorités de Bruxel-les ont en effet fait savoir qu’elles ne comptaient rien lâcher sur ce point : elles souhaitent réserver le passeport financier européen (qui permet aux sociétés implantées dans un Etat de l’UE d’exercer dans tous les autres) aux pays membres et, donc en priver les établissements du Royaume-Uni. Cela ne ferait certes pas disparaître la City, mais l’impact ne serait pas né-gligeable. «Beaucoup de ban ques sont en train de mettre en place des plans pour s’adapter», prévient Robert van Geffen, chargé des ques-tions politiques à l’Association for Financial Markets in Europe (AFME). Certains ont d’ailleurs pris les de-vants : HSBC a annoncé le transfert de 1 000 emplois à Paris, et JPMorgan souhaite implanter des équipes à Francfort, à Dublin et au Luxem -bourg. «Cela pourrait représenter 35 000 emplois directs perdus», pré-vient Pascal de Lima, chef écono-miste de Harwell Mana gement.

AUTRE POINT DE CRISPATION : le commerce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Il va falloir déterminer la forme que prendront désormais leurs échan ges. «Si les Britanniques obtiennent un accord qui leur garantit l’accès au marché unique, l’impact économique sur leur pays sera nul», estime Cathe-rine Mathieu, économiste chargée du Royaume-Uni à l’OFCE. Le pro-blème, c’est que cela a très peu de chan ces d’arriver. Pour les Euro-péens, la libre circulation des mar-chandises doit en effet forcément s’accompagner de celle des per-sonnes, y compris des plombiers po-lonais, dont Londres ne veut plus entendre parler. La discussion s’an-nonce donc musclée : dans le pire des cas, les deux parties pourraient se retrouver sans accord au terme des deux années, et les barrières ta-rifaires de l’OMC s’appliqueraient.

Pour le Royaume-Uni, ce serait une catastrophe ! Les droits de douane pourraient monter jusqu’à 20% dans certains secteurs comme l’agroalimentaire et dévaster l’indus-trie automobile, qui importe quan-tité de pièces du reste de l’Union. Le pays devrait en outre renégocier tous ses accords commerciaux avec

le reste du monde, et il entrerait certainement en récession. Les Eu ropéens seraient aussi touchés, mais ils auraient un peu moins de mal à s’en sortir.

Fort heureusement pour les Britan niques, cette option n’est pas la plus probable. Portée par une dynamique positive, avec une croissance qui accélère et des me-naces populistes qui s’éloignent, bien déterminée à ne plus se faire accuser d’être «l’idiot utile» de la

mondialisation, l’UE a, certes, tout intérêt à se montrer ferme. Mais sans pour autant plonger dans le chaos l’un de ses principaux parte-naires commerciaux. «Les Euro-péens vont sûrement se montrer plus durs pour les secteurs où ils sont compétitifs, comme l’automo-bile ou l’agroalimentaire, mais être plus souples sur le reste», estime Ana Boata. Résultat, la croissance britannique ne devrait pas s’effon -drer, mais seulement stagner .

POUR TENTER DE REBONDIR,� le pays pourrait décider de jouer à fond sa carte de paradis pour business-men, en faisant fondre les taux d’im-position, comme l’a déjà promis le gouvernement, et en flexibilisant en-core plus le droit du travail. «Grâce à l’UE, la semaine des salariés ne peut pas excéder 48 heures et les jours de congé sont plus nombreux. Tout cela pourrait disparaî tre», se désespère Elena Crasta, responsable du bureau européen du TUC (Trades Union Congress) à Bruxelles. Mais suivre ce chemin ne serait pas facile. D’abord parce que, avec le ralentissement économique, les recettes fiscales vont diminuer : le gouvernement n’aura donc guère de marge de manœuvre pour se transformer en un nouveau Singapour.

Et puis parce que les Britanniques ont déjà été profondément blessés par les politiques libérales. Au pays de Margaret Thatcher et de Ken Loach, les conditions de vie sont parfois très dures pour une grande partie de la population. Avec un coefficient de Gini (l’indice qui per-met de mesurer les inégalités) de 0,358, le Royaume-Uni est un des Etats les plus inégalitaires de l’OCDE, devant la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Le récent incen die de la Grenfell Tower, à Londres, qui abri-tait des familles défavorisées, a ra-vivé la question sociale. Et le relatif succès du parti travailliste radicalisé aux dernières élections a démontré que les Anglais en ont assez des sa-crifices. «C’est la triste histoire d’un pays pragmatique qui est devenu dogmatique et s’est tiré une balle dans le pied», résume Philippe Chalon. Une vraie tragédie sha-kespearienne. c

LACHUTEDELALIVREAFAITBAISSER

LE POUVOIR D’ACHAT

BEURRE + 15%

THÉ + 6%

POISSON + 8%

VIN + 3%

Les Anglais étaient prévenus :

un éventuel Brexit risquait de relancer l’inflation et d’éroder leur pouvoir d’achat. Eh bien, ça n’a pas manqué ! Avec la chute de la livre, le prix des produits importés est en train de déraper. Sauf celui de Toblerone, qui a préféré… réduire la taille de ses barres chocolatées.

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