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9 ASPECTS CLINIQUES ET METHODES DIAGNOSTIQUES DU GLAUCOME CHEZ LE CHIEN Thomas DULAURENT Service d’ophtalmologie, CHVSM, 275 route impériale, 74370 SAINT MARTIN BELLEVUE Le glaucome se définit chez le chien par une augmentation de la pression intraoculaire (PIO) entrainant une destruction progressive des structures oculaires et une abolition de leur fonction 1 . Il s’agit d’une entité pathologique grave, d’étiologie complexe encore mal élucidée. Le diagnostic du glaucome est souvent trop tardif et s’appuie sur un examen clinique associé à la réalisation d’examens complémentaires. 1. ASPECTS CLINIQUES DU GLAUCOME CANIN Le glaucome canin se traduit par l’apparition de signes cliniques parfois pathognomoniques. L’augmentation de la pression intraoculaire ayant des répercussions sur l’ensemble des structures oculaires, l’examen de chacune d’entre elle peut faire suspecter la présence d’un glaucome 1 . 1.1. Globe oculaire Le globe oculaire possède une forme globalement sphérique dont le maintien du volume est conditionné par l’interaction entre la tunique fibreuse (sclère et cornée) et la PIO. Une PIO élevée peut provoquer à long terme une distension de cette tunique et donc une augmentation du volume du globe oculaire appelée hydrophtalmie ou bien buphtalmie dans les cas les plus sévères (photographie 1). La proportion d’élastine dans la sclère étant plus importante chez le sujet jeune, les capacités de distension du globe sont beaucoup plus importantes. La buphtalmie est donc plus fréquente chez le jeune que chez le sujet âgé, chez qui la sclère est plus fibreuse. L’augmentation de la taille du globe oculaire est souvent appréciable à la faveur d’un simple examen au transilluminateur. Dans les cas les plus subtils, un examen échographique permet de mesurer l’axe antéro-postérieur du globe oculaire et de le comparer à celui de l’œil adelphe pour identifier une éventuelle différence 2 . 1.2. Cornée L’endothélium cornéen, structure extrêmement spécialisée, supporte mal l’augmentation de la PIO 1 . Une souffrance endothéliale provoque une modification de sa fonction. La diminution de l’activité des pompes ATPases Na+/K+ dépendantes provoque une imbibition de la cornée par l’eau de l’humeur aqueuse qui se traduit par l’apparition d’un œdème cornéen (photographie 2). Ce signe clinique peut apparaître précocement lors d’augmentation de la PIO et se pérennise la plupart du temps. Il est très facile à identifier par un examen au transilluminateur. Lors d’augmentation chronique de la PIO, la membrane de Descemet peut se rompre par effet mécanique. Une nouvelle membrane est alors produite 1 . La rupture de la membrane de Descemet se traduit cliniquement par la présence d’une bande blanche appelée strie de Haab (photographie 3). L’examen précis en lampe à fente permet souvent d’identifier les deux lèvres de la rupture. L’examen

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ASPECTS CLINIQUES ET METHODES DIAGNOSTIQUES DU GLAUCOME CHEZ LE CHIEN

Thomas DULAURENT Service d’ophtalmologie, CHVSM, 275 route impériale, 74370 SAINT MARTIN BELLEVUE Le glaucome se définit chez le chien par une augmentation de la pression intraoculaire (PIO) entrainant une destruction progressive des structures oculaires et une abolition de leur fonction1. Il s’agit d’une entité pathologique grave, d’étiologie complexe encore mal élucidée. Le diagnostic du glaucome est souvent trop tardif et s’appuie sur un examen clinique associé à la réalisation d’examens complémentaires.

1. ASPECTS CLINIQUES DU GLAUCOME CANIN

Le glaucome canin se traduit par l’apparition de signes cliniques parfois pathognomoniques. L’augmentation de la pression intraoculaire ayant des répercussions sur l’ensemble des structures oculaires, l’examen de chacune d’entre elle peut faire suspecter la présence d’un glaucome1. 1.1. Globe oculaire Le globe oculaire possède une forme globalement sphérique dont le maintien du volume est conditionné par l’interaction entre la tunique fibreuse (sclère et cornée) et la PIO. Une PIO élevée peut provoquer à long terme une distension de cette tunique et donc une augmentation du volume du globe oculaire appelée hydrophtalmie ou bien buphtalmie dans les cas les plus sévères (photographie 1). La proportion d’élastine dans la sclère étant plus importante chez le sujet jeune, les capacités de distension du globe sont beaucoup plus importantes. La buphtalmie est donc plus fréquente chez le jeune que chez le sujet âgé, chez qui la sclère est plus fibreuse. L’augmentation de la taille du globe oculaire est souvent appréciable à la faveur d’un simple examen au transilluminateur. Dans les cas les plus subtils, un examen échographique permet de mesurer l’axe antéro-postérieur du globe oculaire et de le comparer à celui de l’œil adelphe pour identifier une éventuelle différence2. 1.2. Cornée L’endothélium cornéen, structure extrêmement spécialisée, supporte mal l’augmentation de la PIO1. Une souffrance endothéliale provoque une modification de sa fonction. La diminution de l’activité des pompes ATPases Na+/K+ dépendantes provoque une imbibition de la cornée par l’eau de l’humeur aqueuse qui se traduit par l’apparition d’un œdème cornéen (photographie 2). Ce signe clinique peut apparaître précocement lors d’augmentation de la PIO et se pérennise la plupart du temps. Il est très facile à identifier par un examen au transilluminateur. Lors d’augmentation chronique de la PIO, la membrane de Descemet peut se rompre par effet mécanique. Une nouvelle membrane est alors produite1. La rupture de la membrane de Descemet se traduit cliniquement par la présence d’une bande blanche appelée strie de Haab (photographie 3). L’examen précis en lampe à fente permet souvent d’identifier les deux lèvres de la rupture. L’examen

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au transilluminateur est souvent suffisant pour mettre en évidence la rupture. La nouvelle membrane de Descemet ne peut être visualisée qu’avec des outils plus perfectionnés comme la tomographie en cohérence optique (OCT), la microscopie confocale ou la biomicroscopie ultrasonore (UBM). Dans les stades tardifs du glaucome, l’augmentation de la taille du globe oculaire peut provoquer une malocclusion de la fente palpébrale appelée lagophtalmie1. La partie moyenne de la cornée (notamment le vertex cornéen) est alors exposée à la dessiccation et favorise l’apparition d’une kératite voire d’une ulcération de la cornée, facilement visibles à l’examen au transilluminateur (photographie 4). 1.3. Sclère et lamina cribrosa L’augmentation de la PIO provoque parfois une congestion mécanique des veines épisclérales qui prennent alors une teinte rouge vif associée à une tortuosité souvent exagérée (photographie 5). La congestion est très facilement visible si bien qu’elle représente parfois le seul motif de consultation. La sclère peut aussi être impliquée dans le cas de la dispersion pigmentaire du glaucome mélanocytaire du Cairn Terrier3. De larges plages pigmentées peuvent alors être observées dans l’espace sous conjonctival (photographie 6). La dispersion pigmentée implique d’autres tissus oculaires3. La lamina cribrosa est une région de la sclère par laquelle cheminent les fibres nerveuses qui forment le nerf optique1. Cette région possède de nombreuses lacunes et sa constitution même en fait une zone de moindre résistance mécanique1. En cas d’augmentation de la PIO, cette région subit une déformation centrifuge appelée excavation (ou « cupping » en anglais). La déformation de la lamina cribrosa est associée à une modification de la microvascularisation de la tête du nerf optique et à un écrasement des fibres nerveuses interdisant le flux axonique1, 4, 5. Ce phénomène participe très largement à la gravité du glaucome chez l’animal comme chez l’homme. L’excavation peut être observée par ophtalmoscopie si les milieux sont transparents, par OCT dans les mêmes conditions ou par échographie (photographie 7). Il s’agit d’un facteur pronostic en ophtalmologie humaine ou le glaucome désigne d’abord une neuropathie optique. 1.4. Cristallin L’augmentation de la PIO peut avoir des répercussions sur le cristallin à plusieurs niveaux. Les conséquences les plus fréquentes sont les modifications de la position du cristallin et la cataracte secondaire1. Lorsque le glaucome provoque une augmentation du volume du globe oculaire, les fibres zonulaires peuvent être distendues (photographie 8) et se rompre par effet mécanique, provoquant une instabilité complète (luxation) ou partielle (subluxation) du cristallin. La présence combinée d’un certain degré d’inflammation peut fragiliser les fibres zonulaires et faciliter leur rupture par effet biochimique. Il est parfois difficile de déterminer la chronologie des évènements entre ectopie cristallinienne et augmentation de la PIO. Dans les cas douteux, l’examen attentif de l’autre œil et l’épidémiologie permettent souvent de différencier une luxation primitive d’une luxation secondaire. Rappelons à ce titre que certaines races canines sont génétiquement prédisposées à la dystrophie zonulaire et donc à la luxation primitive du cristallin (Terriers, Epagneul Breton, Border Collie aux USA…)6-11. Le glaucome chronique peut entraîner la formation d’une cataracte secondaire selon des mécanismes mal connus (photographie 9). Les hypothèses les plus

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vraisemblables font état de modifications dans les échanges métaboliques entre le cristallin et l’humeur aqueuse, provoquant des stress osmotiques et biochimiques au sein même du cristallin1. Là encore, la chronologie des évènements peut être difficile à établir car la cataracte peut aussi provoquer une augmentation de la PIO par uvéite phako-antigénique. L’examen rigoureux de l’autre œil et les données épidémiologiques peuvent aider le praticien à faire la lumière sur la chronologie d’apparition des signes. Dans certains cas toutefois, les lésions sont telles qu’il est impossible d’établir des liens de cause à effet. La distension zonulaire et les ectopies cristalliniennes sont relativement faciles à observer en lampe à fente. Dans certains cas, les subluxations ou les luxations en place du cristallin nécessitent de la patience afin d’observer les signes caractéristiques qui s’y rattachent : le phakodonésis (tremblement subtil du cristallin associé aux mouvements de l’œil) ou iridodonésis (tremblement subtil de l’iris). 1.5. Iris Le glaucome se traduit cliniquement par une mydriase parfois discrète et une diminution nette des capacités de contraction du muscle sphincter. La pathogénie de ce phénomène est obscure mais une modification de la vascularisation et de l’influx nerveux moteur est souvent évoquée1. L’utilisation de médicaments myotiques offre des résultats contrastés sur le diamètre pupillaire. Selon notre expérience, certains chiens répondent à l’instillation d’analogues des prostaglandines par un myosis serré dit en tête d’épingle, d’autres ne présentent aucune modification du diamètre pupillaire. La mydriase semble plus importante encore dans les cas de glaucome chronique. La mydriase et le défaut de contraction du muscle sphincter sont identifiables avec un transilluminateur. Dans le cas du glaucome mélanocytaire du Cairn Terrier, l’iris prend rapidement une teinte charbonneuse, signe de dispersion pigmentaire responsable de l’obturation de la fente ciliaire et secondairement du glaucome3. 1.6. Corps ciliaire Rappelons que le corps ciliaire est composé du muscle ciliaire (responsable de l’accommodation) et des procès ciliaires (responsables de la production de l’humeur aqueuse). L’accommodation étant très faible à l’état physiologique chez le chien, les conséquences du glaucome sur les capacités de contraction du muscle ciliaire sont difficiles à déterminer cliniquement. L’augmentation de la PIO entraine cependant une atrophie progressive et tardive des procès ciliaires qui conduit petit à petit à une diminution de la production d’humeur aqueuse1. Il arrive donc parfois que la PIO se normalise ou diminue dans certains stades terminaux de glaucome, alors que tous les signes cliniques d’une augmentation de la PIO sont présents (stries de Haab, hydrophtalmie…)1. L’atteinte du corps ciliaire n’est donc pas identifiable cliniquement mais ses conséquences sont identifiables par simple mesure de la PIO. 1.7. Fente ciliaire et angle iridocornéen (AIC) Le dénominateur commun de tous les glaucomes, qu’ils soient primaires ou secondaires est la modification de l’architecture de la fente ciliaire. Quelle que soit l’origine du glaucome, il se traduit toujours par un écrasement de la fente ciliaire, par une destruction des réseaux trabéculaires uvéal et cornéo-scléral. Les

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modifications terminales de la fente ciliaire ne sont pas facilement identifiables en gonioscopie en raison de la fréquente altération de la transparence de la cornée. Par ailleurs, la gonioscopie ne permet pas d’évaluer l’intégrité des réseaux trabéculaires mais seulement le degré d’ouverture de la fente ciliaire et l’aspect du ligament pectiné12-14. Seule l’UBM permet d’examiner l’ensemble des structures de drainage15-21. Nous reviendrons plus en détails sur ces examens dans la seconde partie du développement. 1.8. Vitré Les modifications vitréennes provoquées par une augmentation de la PIO sont frustes et non spécifiques1. Elles se traduisent surtout par une synérèse du vitré (photographie 10) et sont souvent associées à des ectopies cristalliniennes identifiables en lampe à fente ou à l’échographie. A l’inverse, certaines modifications vitréennes peuvent provoquer une augmentation de la PIO. Dans le cas de subluxation du cristallin ou de fragilité hyaloïdienne et zonulaire, des flammèches de vitré peuvent faire issue en chambre antérieure et provoquer une obstruction mécanique de la fente ciliaire. Les issues de vitré sont parfois difficiles à observer et nécessitent l’utilisation d’une lampe à fente. Elles prennent souvent l’aspect de volutes de fumée (photographie 11). 1.9. Tête du nerf optique Le nerf optique représente le point d’émergence des axones des cellules ganglionnaires de la rétine. Celles-ci quittent le globe oculaire par la lamina cribrosa comme nous l’avons vu précédemment. Il s’agit d’une zone de moindre résistance mécanique qui subit une dépression centrifuge lorsque la PIO augmente1,

4, 5. Cette dépression est d’autant plus marquée que la PIO est élevée et que le glaucome est chronique. Outre l’excavation papillaire, l’augmentation de la PIO provoque une diminution du calibre de l’arc veineux et une modification de couleur de la papille qui prend alors une teinte grisâtre, signe d’atrophie de la tête du nerf optique1. Ces signes sont visibles en ophtalmoscopie1. Les modifications vasculaires sont quant à elles identifiables en OCT22-25.

2. METHODES DIAGNOSTIQUES DU GLAUCOME CANIN

Si l’on s’en tient à la définition même du glaucome canin, la mesure de la PIO suffit théoriquement à établir le diagnostic de glaucome. En l’absence de mesure objective de la PIO, ce diagnostic peut être émis après observation de signes cliniques presque pathognomoniques comme l’hydrophtalmie ou les stries de Haab. Toutefois, certaines situations cliniques nécessitent la mise en œuvre d’examens plus poussés. 2.1. Examen clinique Le recueil de l’anamnèse et des commémoratifs est le préalable indispensable à tout examen car il fournit des données épidémiologiques qui peuvent mettre le clinicien sur la voie. Le motif de consultation est variable dans le cas de glaucome. De façon schématique, le glaucome aigu se traduit par une forte douleur oculaire (décrite chez l’homme comme l’une des plus vives qui soit), associée à un état de prostration, de dysorexie et d’abattement parfois marqués. Les propriétaires sont souvent alertés par une rougeur et un écoulement oculaire. Dans les cas de

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glaucome chronique, le motif de consultation est souvent une modification d’aspect de l’œil (rougeur, augmentation de taille) et une abolition de la vision. Selon notre expérience et quel que soit le motif de consultation, l’examen clinique nécessite impérativement l’utilisation d’un transilluminateur. C’est un instrument peu couteux et simple d’utilisation. Il permet d’observer certains signes presque systématiquement associés au glaucome ou au risque de glaucome.

- Hydrophtalmie, buphtalmie

- Congestion des vaisseaux épiscléraux

- Stries de Haab associées à de l’œdème cornéen

- Luxation antérieure/postérieure du cristallin, subluxation sévère

- Tumeur de l’iris

Pour les signes cliniques plus frustes, plus discrets ou intéressants le segment postérieur, l’examen en lampe à fente munie d’un système grossissant se révèle indispensable :

- Stries de Haab discrètes

- Subluxation du cristallin, luxation en place (iridodonesis, phakodonesis)

- Issue de vitré, synérèse vitréenne

2.2. Mesure de la pression intra-oculaire La mesure de la pression intraoculaire est l’examen complémentaire qui permet de conclure définitivement à un glaucome. Il existe de nombreuses techniques de mesure (indentation, aplanissement, rebond)1. Les instruments d’utilisation courante sont le tonomètre de Schiotz (peu à peu tombé en désuétude), le Tonopen et le Tonovet26. Les valeurs de référence de la PIO chez le chien ont été évaluées avec différentes techniques de mesure1, 27, 28. Dans la plupart de ces études, la valeur normale de la PIO chez le chien est estimée entre 10 et 20 mm Hg1. Théoriquement, au-delà de ces valeurs, l’animal est considéré comme suspect de glaucome. Cependant, une mesure unique de la PIO peut ne pas suffire à établir un diagnostic de glaucome. Certains paramètres comme l’heure de la mesure, le degré d’énervement ou de stress de l’animal, le port d’un collier trop serré, l’âge du sujet ou une mauvaise utilisation de l’appareil peuvent avoir une influence sur la PIO et conduire à des faux positifs28-30. Il est souvent conseillé de pratiquer plusieurs mesures afin d’établir un diagnostic définitif1. La plupart du temps toutefois, une mesure de pression élevée est associée à un cortège symptomatique et permet d’établir un diagnostic d’emblée. 2.3. Gonioscopie La gonioscopie est l’examen qui permet l’observation de l’AIC par apposition d’une lentille ou d’un verre à miroir angulé1. Elle ne permet pas d’établir le diagnostic de glaucome au sens strict. Par l’observation de l’AIC, le praticien peut toutefois dépister une prédisposition au glaucome ou caractériser un glaucome préexistant1. La gonioscopie autorise ainsi une classification du glaucome basée sur l’aspect de l’entrée de la fente ciliaire1, 12-14. Cette classification est imparfaite car elle fait abstraction de ses parties moyenne et postérieure, invisibles en gonioscopie. Les seuls paramètres qu’évalue la gonioscopie sont l’aspect du ligament pectiné et le degré d’ouverture de l’entrée de la fente ciliaire. Contrairement à une idée largement répandue, les réseaux trabéculaires uvéal et cornéo-scleral ne sont pas identifiables par cette technique. Rappelons enfin que la gonioscopie permet uniquement une description qualitative de l’AIC1, 12-14.

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Aspect du ligament pectiné : - le défaut de résorption du ligament pectiné (LP) est appelé dysplasie du ligament

pectiné (DLP)1. Ce dernier peut persister à l’état de bandes tissulaires plus ou

moins complètes et étendues. Le degré le plus sévère est appelé Occlusion

(photographie 12), le degré intermédiaire est appelé Lamina (photographie 13),

enfin le degré le plus discret forme des Fibrae Latae (photographie 14). Le rôle

joué par ces anomalies dans la pénalisation du drainage de l’humeur aqueuse et

donc dans le glaucome primaire est incertain. Selon notre expérience, la

prévalence des anomalies du LP (évaluée sur une population de 71 chiens

présentant une PIO normale) est relativement élevée en comparaison de la

prévalence des glaucomes canins (24 % de Fibrae Latae, 11 % de Lamina et 13 %

d’Occlusion). C’est pourquoi nous pensons que la dysplasie du LP, au moins dans ses

formes les plus discrètes, n’a pas un rôle déterminant dans le déclenchement du

glaucome primaire31.

- le LP comme l’entrée de la fente ciliaire et la base de l’iris peuvent être le siège

d’une infiltration tumorale ou d’une dispersion pigmentaire qui finissent par nuire à

l’écoulement de l’humeur aqueuse (photographie 15).

- la présence d’adhérence pathologique entre la base de l’iris et la région de l’AIC

(goniosynéchie) peut représenter un obstacle à l’écoulement de l’humeur aqueuse

(photographie 16).

Aspect de l’entrée de la fente ciliaire : - l’entrée de la fente ciliaire présente un degré d’ouverture variable qui peut aller

de l’ouverture normale (photographie 17) à la fermeture complète (photographie

18). Selon notre expérience, le degré d’ouverture de la fente ciliaire est un critère

majeur de prédisposition au glaucome primaire (beaucoup plus que la présence

d’une DLP sur une fente ciliaire par ailleurs normalement large).

- les kystes ciliaires ou iriens libres peuvent se localiser à l’entrée de la fente

ciliaire. Leur influence sur le drainage de l’humeur aqueuse est probablement nul

(photographie 19).

- la base de l’iris peut présenter une angulation excessive et former une saillie juste

en avant de la fente ciliaire. Cet état pathologique est appelé iris plateau et peut

pénaliser l’écoulement de l’humeur aqueuse. Il est parfois difficile à mettre en

évidence en gonioscopie (photographie 20).

2.4. Echographie conventionnelle Comme pour la gonioscopie, l’échographie ne permet pas de diagnostiquer un glaucome au sens clinique du terme. Elle permet toutefois d’en préciser les contours. Par la mesure de l’axe antéro-postérieur du globe oculaire et l’observation de l’insertion du nerf optique, cet examen abordable permet de mettre en évidence des modifications biométriques liées au glaucome3, 32. Les cas d’ectopie cristallinienne peuvent aussi être dépistés grâce à cette technique3. 2.5. Ultrabiomicroscopie (UBM) et échographie de haute résolution (HRUS) Il s’agit de deux techniques d’échographie utilisant des fréquences de 20 MHz pour l’HRUS et supérieures à 35 MHz pour l’UBM. Comme la gonioscopie, l’UBM et l’HRUS ne permettent pas de diagnostiquer un glaucome mais elles autorisent une description très fine de ses arcanes. Ces deux techniques permettent en effet une

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évaluation quantitative de la fente ciliaire par l’obtention d’une image de haute définition en coupe (photographie 21)1. Les paramètres qui peuvent être évalués sont1, 3, 33 :

- l’angle formé par la cornée et l’iris

- la largeur de la fente ciliaire (entrée, partie moyenne et partie postérieure)

- la longueur de la fente ciliaire

- l’aspect du réseau trabéculaire uvéal

- la présence d’une masse (photographie 22), d’un kyste ciliaire ou irien

(photographie 23), d’un corps étranger…

L’utilisation de ces techniques a permis de mettre en évidence des cas d’atteinte de la fente ciliaire, parfois invisible en gonioscopie :

- entrée étroite mais partie postérieure ouverte (photographie 24)

- fente ciliaire fermée sur toute sa longueur (photographie 25)

- angulation excessive de la base de l’iris (iris plateau) (photographie 26)

Contrairement à la gonioscopie, l’UBM et l’HRUS ne permettent pas une très bonne visualisation du ligament pectiné. Ainsi, seules les formes sévères de dysplasie peuvent être identifiées par ces techniques (photographie 27); le LP apparait alors comme une bande de tissu échogène présente sur toute la circonférence du globe (un LP normal n’apparaitra que rarement sur un plan de coupe, comme en histologie). 2.6. Ophtalmoscopie L’ophtalmoscopie est l’examen qui permet l’observation du fond d’œil. Nous avons vu que ce dernier peut présenter des modifications dans le cas d’augmentation de la PIO. L’observation du nerf optique est donc un élément fondamental de l’examen oculaire dans le cas de glaucome1. L’ophtalmoscopie directe ou l’utilisation d’une lentille très peu puissante (5.5 D par exemple) en ophtalmoscopie indirecte offre une image magnifiée de la papille optique et permet ainsi d’apprécier le degré d’excavation. 2.7. Tomographie en cohérence optique (OCT) Il s’agit d’une technique d’imagerie de pointe permettant d’obtenir des images du segment antérieur et de la rétine, avec un niveau de détail proche de l’histologie. Très couramment utilisée en ophtalmologie humaine23-25, l’OCT en est à ses balbutiements en ophtalmologie vétérinaire22. Selon notre expérience, elle reste difficile d’emploi pour observer l’AIC canin en raison de différences anatomiques nettes avec l’AIC de l’homme. Le limbe est en effet positionné très en avant chez le chien par rapport aux premières structures de drainage34, 35, et représente un obstacle optique au passage des rayons nécessaires à l’obtention d’images. Le même problème est rencontré chez le chat. L’OCT permet toutefois d’obtenir des images de la rétine et du nerf optique22 ; l’épaisseur du neuro-épithélium rétinien (photographie 28), l’excavation papillaire et la topographie précise de la tête du nerf optique (photographie 29) peuvent donc être évaluées avec précision. Se posent toutefois deux difficultés majeures. La première est l’absence d’une base de données permettant de différencier l’aspect pathologique et l’aspect physiologique. La deuxième réside dans la nécessité absolue de la parfaite

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transparence des milieux, souvent perturbée dès la première consultation en ophtalmologie vétérinaire. L’identification des signes cliniques associés au glaucome est le plus souvent simple. Le diagnostic de glaucome peut donc être établi avec peu de matériel. Cependant la caractérisation du glaucome et son diagnostic précoce font souvent appel à des examens complémentaires sophistiqués. L’utilisation de ces techniques plus ou moins modernes permet de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques impliqués dans les différents types de glaucome, pour à terme développer des traitements médicaux ou chirurgicaux efficaces, adaptés à chaque cas. BIBLIOGRAPHIE 1- Gelatt KN, Brooks DE, Källberg ME. The Canine Glaucomas. In: Veterinary Ophthalmology, 4thedn. (ed. Gelatt KN) Blackwell Publishing, Ames, 2007, Volume 2, 753-811. 2- Dietrich UM. Ophthalmic Examination and Diagnostics, Part 3: Diagnostic Ultrasonography. In: Veterinary Ophthalmology, Vol. I, 4th den. (edGelatt KN) Blackwell Publishing, Ames, 2007; 507-519. 3- Petersen-Jones SM, Forcier J, Mentzer AL. Ocular melanosis in the cairn terrier: clinical description and investigation of mode of inheritance. Vet Ophthalmol 2007; 10 suppl 1: 63-69. 4- Yablonski M, Asamoto A. Hypothesis concerning the pathophysiology of optic nerve damage in open angle glaucoma. J Glaucoma 1993; 2: 119-127. 5- Spaeth GL. Development of glaucomatous changes of the optic nerve. In: Varma R, Spaeth GL, Parker KW, eds. The Optic Nerve in Glaucoma. Philadelphia: JB Lippincott, 1993: 63-82. 6- Formston C. Observations in subluxation and luxation of the crystalline lens in the dog. J Comp Pathol 1945; 55: 168-175. 7- Lawson DD. Luxation of the crystalline lens in the dog. J Sm Anim Pract 1969; 10: 461-463. 8- Curtis R, Barnett KC. Primary lens luxation in the dog. J Sm Anim Pract 1980; 21: 657-668. 9- Foster SJ, Curtis R, Barnett KC. Primary lens luxation in the Border Collie. J Sm Anim Pract 1986; 27: 1-6. 10- Willis MB, Barnett KC, Tempest WM. Genetic aspects of the lens luxation in the Tibetan Terrier. Vet Rec 1979; 104: 409-412. 11- Gwin RM. Primary lens luxation in the dog: Associated with lenticular zonule degeneration and its relationship to glaucoma. J Am Anim Hosp Assoc 1982; 18: 485-491. 12- Bedford PG. A simple method of gonioscopy for the dog and cat.J Small Anim Pract 1985; 26: 407-410. 13- Bedford PG. Gonioscopy in the dog. J Small Anim Pract 1977; 18: 615-629. 14- Bedford PG. A practical method of gonioscopy and goniophotography in the dog and cat. J Small Anim Pract 1973; 14 (10): 601-606. 15- Pavlin CJ, Harasiewicz K, Sherar MD, Foster FS. Clinical use of ultrasound biomicroscopy. Ophthalmology 1991; 98: 287-295. 16- Pavlin CJ, Foster FS. Ultrasound biomicroscopy.High-frequency ultrasound imaging of the eye at microscopic resolution. Radiol Clin North Am 1998; 36: 1047-1058. 17- Ishikawa H, Liebmann JM, Ritch R. Quantitative assessment of the anterior segment using ultrasound biomicroscopy. Curr Opin Ophthalmol 2000; 11: 133-139. 18- Blumen-Ohana E, Hamelin N, Nordmann JP. Glaucoma and ultrasound biomicroscopy. J Fr Ophthalmol 2004; 27: 469-476.

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